Ce numéro de l’automne 2010 de Ch’Lanchron propose en couverture un « Ju d’éson » imaginé par les enfants de l’école de Vaux-sur-Somme. Ces élèves avaient bénéficié de la toute première classe picarde, accueillie sur la côte picarde il y a tout juste un an. Ces journées linguistiques, culturelles et sportives ont semé quelques graines fertiles pour l’imagination. Entre autres réalisations, est née cette idée de jeu de l’oie, qui reprend case après case tout le vocabulaire appris lors du stage. Les noms picards des animaux ou des objets, rencontrés lors des visites du Hâble d’Ault, au cours d’une promenade contée ou pendant une partie de pêche à pied sont ainsi semés. Case 52 : « ch’pichon » (le poisson) ; case 40 : « éne miole » (une mouette) ; case 44 : « éne queuchure » (une chaussure) etc.
La règle du jeu a été tournée en picard, elle aussi. Il n’y a plus qu’à lancer les dés et à avancer « chés tchots cailleux d’mer » (petits galets) pour savoir qui ne tombera pas dans « ch’pure » (le puits) et parviendra à gagner l’ultime étape de « chl’éson » situé à la case 63. Nous étions déjà mis en appétit avec la couverture du trimestriel, mais les pages intérieures nous comblent : tous les détails pour acquérir le plateau de jeu et ses accessoires sont indiqués en pages centrales de Ch’Lanchron 121.
« Éch temps d’chu tango »
L’autre pièce de choix de ce numéro de rentrée picarde, est le texte intégral et définitif de la nouvelle qui a remporté le Premier prix de littérature picarde 2010. Signé Micheline Waquet (d’Ailly-le-Haut-Clocher, Ponthieu), ce texte « Éch temps d’chu tango » nous plonge au cours des années 50, dans une impossible histoire d’amour qui se noue entre la fille de l’épicier et le fils d’une grande famille. Leur rencontre, sur air d’accordéon ne doit pas rester sans lendemain. Liane en est certaine : « C’est lui ! ».
Mais la vie perturbe cette douce romance. Un accident de voiture. Un frère qui meurt. L’éloignement. Autant d’épreuves qui mettent en péril ces amours naissantes. Liane ne résiste pas. Les pèlerinages à la Vierge d’août seront-ils d’un quelconque secours ?
Écrite dans une langue naturellement riche et précise, la nouvelle « Éch temps d’chu tango » méritait sans conteste la distinction obtenue au printemps dans le cadre prestigieux de la Maison Jules Verne, à Amiens. Elle mérite tout autant de retenir l’attention des lecteurs de Ch’Lanchron, qui seront, nous n’en doutons pas comblés par l’écriture de Micheline Waquet.
Après sa série des trois numéros doubles qui a marqué l’anniversaire des 30 ans de la revue, Ch’Lanchron reprend le rythme que nous lui connaissons depuis 1980.Ainsi, ce numéro simple (mais en rien dénué d’intérêt), nous propose une série de bandes dessinées signées par Jacques Dulphy (avec la reprise de « Lisèe pi Zélie »), par Jean Bernard Roussel (« Éne boéne drache »), ou par Gilles Doutreligne (avec « Vite à ch’bureau ! »). Suit un reportage de quatre pages dédié à la grande fête abbevilloise de mai dernier. De préparatifs en soirées cabaret, d’inauguration en salon du livre, de gâteau d’anniversaire en discours sourieusement officiels, nous retrouvons le fil des « trois glorieuses » journées qui ont densément picardisé la capitale du Ponthieu.
Retour à la formule trimestrielle de Ch’Lanchron
Une pièce de théâtre légèrement surréaliste due à Jean-Luc Vigneux clôt la partie littéraire de Ch’Lanchron n° 121. Ce « Varo ti, varo ti point ? » se déroule entièrement dans le noir, pour qu’au tombé de rideau, la lumière se fasse, tant sur le suspens que sur le public. Le monde à l’envers, en quelque sorte.
Avec ce numéro, Ch’Lanchron renoue avec ses jeux et rubriques habituels. Nous retrouvons ainsi avec impatience la rubrique VIR, qui permet à tout picardisant débutant ou confirmé de rédiger quelques lignes autour d’un cliché mystérieux. Il en va de même avec « À l’tcheue leu leu », un exercice qui contraint le candidat auteur à insérer une série de six mots ou expressions dans un texte de sa composition. Une demi-douzaine de picardisants se sont essayés à ce jeu qui apporte à chaque livraison son lot de surprises.
La poésie d’Élisabeth Manier (Escarbotin), les démêlés avec les complications postales de Jean Leclercq (Bienfay), les histoires de France Devsimes (Mons-Boubert), les blagues de Roland Dumont (Hallencourt), nous assurent que Ch’Lanchron a encore bien sa place dans le paysage littéraire de Picardie. L’éditorial de ce numéro 121 tendait à nous inquiéter à ce sujet : nous sommes apaisés. Et puis, un numéro spécial sur le thème de l’araignée est annoncé pour le début d’année prochaine. Nous le guettons déjà en piétinant. Cette sacrée bestiole se décline et se chante sur tous les tons en picard. L’avenir de Ch’Lanchron est bien tracé dans le sillage des numéros précédents alliant qualité, diversité et vitalité de la langue picarde contemporaine.
Ch’Lanchron nº 121 :
5,00 euros le numéro de 44 pages (6,80 euros franco)