L’arrivée de l’automne dans les campagnes picardes est signe de fête. La place du village est bientôt prête. Des véhicules bariolés arrivent, des boutiques ambulantes s’installent, quelques coups de maillet résonnent, et dès le vendredi soir, un chapiteau de bal américain, une loterie miraculeuse, un manège, des balançoires, toutes sortes d’attractions apparaissent sous les lumières multicolores pendues en travers de la grand rue. Toute une ambiance renaîtra bientôt aux odeurs de sucre chaud dans les sonorités des chansons en vogue.
Ainsi, pourrions nous décrire ce qui fut, ce qui est encore, la fête du quartier. En Picardie, le vocabulaire abonde pour parler d’él ducasse . Ici on parle d’él kérmesse , là d’él fiète , là-bas d’éne foére ou d’éne bradrie . Ailleurs on donnera un nom local, Foére d’Otchuli, Féte du Satcheu, Grande fiète … l’imagination picarde ne manque pas de ressource. Mais partout, ces journées attendues des enfants et de leurs parents sont simplement dénommées « no féte ». Avec ses prémices, avec ses heures bruyantes et mouvantes, avec ses instants réservés aux petits ou aux anciens. Puis le mardi à l’aube, les forains démontent leur matériel et reprennent la route vers un autre faubourg, vers d’autres regards et d’autres rêves.
La fête d’ici, c’est aussi le jour du grand rassemblement de la famille autour d’un repas généreux mais interminable au goût des plus jeunes. Un défilé de majorettes s’annonce dans la rue. Un cortège se forme rapidement une fois la dernière tasse de café vivement avalée. La fête commence vraiment.
La fête du quartier Saint-Gilles d’Abbeville, fête locale emblématique
En rassemblant quantité de documents ou de témoignages, des souvenirs, des poèmes et des narrations - tout en picard ! - ce numéro 124 de Ch’Lanchron qui paraît en cet automne 2011, n’a pu faire moins que d’ajouter une douzaine de pages à son format habituel. Il fallait bien 56 pages pour tenter de faire le tour du manège en décrochant le pompon !
Au cœur de la publication, figure le récit « L’féte Saint-Gilles » proposé par Jean-Luc Vigneux. En huit chapitres, la chronologie des divertissements qui s’échelonnent au fil de deux journées dans un quartier d’Abbeville nous ramènent à la charnière des années 1960-70. Tout y est. L’humeur joyeuse est amenée par une compagnie de vrais Gilles venus de Binche, en déplacement exceptionnel. Le mélange des générations voit s’affronter dans un match de football improvisé les « Yéyés » contre les « Croulants ». Les nacelles de balançoires assurent le vertige aux adolescents intrépides. Le pousse-pousse installé sur l’herbe provoque le tournis à leurs parents. Les tchots rêvent d’accéder au rutilant camion de pompiers à chaque passage du véhicule, mais le beau manège ne leur offrira plus de place libre que dans le minuscule autocar. Ils s’entasseront à six, chacun derrière un volant enfantin, heureux quand même, assurés qu’ils sont d’emporter la partie gratuite qui est promise pour parvenir à leurs fins.
L’féte Saint-Gilles , c’est ici comme partout, la chaleur de rencontres humaines. C’est le défi derrière un tir à la carabine ou un tir à boîte chamboule tout. C’est un rendez-vous qui promet à lui seul de repartir rempli des discussions acharnées avec le forain ou les concurrents. C’est là qu’inconsciemment, se bâtissent les souvenirs de l’enfance, de la jeunesse, de la vie en famille.
Nous savourerons donc, comme un paquet de nougats acheté sur le chemin du retour, ces pages de bon picard. Nous y retrouverons avec nostalgie la lenteur du manège de chevaux de bois. « Mie dzoin d’s’étordir pour passer un boin momint ! » auraient pu dire les anciens. Les aïeux qui désormais nous ont quitté, mais dont le souvenir perdure à travers les instants heureux gardés en mémoire. Leur départ a pu parfois signer la fin d’une époque, comme l’aborde l’auteur, Jean-Luc Vigneux, en conclusion de son récit de L’féte Saint-Gilles.
Toutes les rubriques de Ch’Lanchron sont aussi à la fête
Ch’Lanchron 124 , c’est un peu, et même beaucoup de tout cela. Les textes de Jean Wattelet (Douaisis), de Fernand Tacel (Vimeu), de Jean-Paul Champion (Amiénois), de Victorin Poiteux (Santerre), d’Edgar Droyerre (Ponthieu), de Robert Boyaval (bassin minier), vous assurent autant de regards tournés vers la fêtes aux accents picards. Le tout est dûment complété de quelques partitions d’airs de canchons d’féte. En outre, ce numéro de Ch’Lanchron nous distille également ses chroniques habituelles. Liries (critiques et annonces de publications), Clognon (coup d’œil), Fifine (contrepèteries), Rétromiloér (retour en arrière), À vous d’Vir et L’tcheue leu leu (jeux littéraires), sont également accompagnés d’un reportage sur la naissance d’Alphonsine Grossétettes, la toute dernière née des géantes picardes. Mascotte des joueurs de cornemuse picarde (ch’pipaussac ou ch’pipasso, comme on voudra), elle a vu le jour en septembre dernier à Flixecourt au cours d’une fête musicale, comme il se doit. Ch’Lanchron 124 vous annonce aussi la parution imminente du troisième volume des dialogues de Ch’Dur et pi ch’Mo . Cette chronique picarde est signée par Jacques Dulphy dans le quotidien régional Courrier picard depuis 1998. L’édition de l’intégralité des billets hebdomadaires se poursuit comme promis. Dans les livres aussi, le picard est à la fête !
Ch’Lanchron nº 124 :
6,00 euros le numéro de 56 pages (8,00 euros franco)