Si le parler picard possède son rythme, ses sonorités, son accent, c’est à son expression orale qu’il le doit. Les "r" roulé ou, les sifflantes prononcés ici ou là avec insistance en font son charme. Sa littérature, sa poésie, et sa mémoire, sont par contre l’apanage de l’écrit. Le picard, patois des rues de chez nous se fait dialecte dans les livres et les revues, depuis près de 9 siècles. Le trimestriel Ch’Lanchron donne une place de choix aux auteurs picardisants depuis 15 ans dans ses pages. Le soixantième numéro vient de sortir des presses, et il nous réserve encore son lot de bonnes surprises...
En avant la musique !
La couverture de Ch’Lanchron nº60 nous présente un joueur de cornemuse picarde (le "pipassau") qui mène la danse pour une jeune femme qui gambille devant lui. Le tout sur fond d’un champ de houblon, et daté de 1668... Il s’agit d’une reproduction d’un plat de Sorrus (région de Montreuil-sur-mer), conservé au musée d’Abbeville. Les couleurs vives de cette céramique ont traversé les siècles avec bonheur.
Cette livraison de printemps est placée sous le signe des "canchons" picardes. Ch’Lanchron vient d’éditer le disque "Ch’Bal", qui rassemble une douzaine de titres jusqu’alors inédit. Un article nous le présente, et propose un reportage photographique de l’enregistrement. Les amateurs de refrains picards pourront commander ce deuxième album de l’équipe, un CD qui contient l’intégralité des textes chantés, et dont l’accueil auprès du public connaît déjà un beau succès. Le répertoire picard s’étoffe donc, et Jean-Luc Vigneux (Abbeville) nous propose une nouvelle création qui nous réconcilie avec la pluie en nous proposant de rester au lit din chés drops pi chés lincheus.
Mémoire et documents
L’actualité de ce début d’année nous a replongé 50 ans en arrière, au sortir de la guerre, à l’heure de la libération des sinistres camps. Gisèle Souhait (Molliens-au-bois) se souvient. Le 5 janvier 1944, ce fut la rafle d’Amiens, et ses parents ont hébergé en catastrophe des enfants en fuite. Le récit rappelle le parcours poignant de "Renée", une autre amie de Gisèle, qui devait arriver à Auschwitz enceinte, et en revenir, seule. Le picard nous parle avec nuances et émotion de ces pages de notre histoire collective.
Un document retrouvé dans un numéro de 1878 du Monde Illustré, propose un commentaire à propos d’un tableau de Corot réalisé à Sin-le-Noble (Nord). Le picard du XIXème siècle avait alors la saveur et tout l’esprit railleur que nous lui connaissons toujours.
Le département de l’Oise est à l’honneur, avec Philéas Lebesgue. Ch’Lanchron présente deux éditions du même poème : "Quant os était ptchot", où l’on peut apprécier les variations de graphie, sans que le contenu des rimes n’en soit pour autant affecté.
Voyage en Picardie linguistique
Les 44 pages de Ch’Lanchron nous entraînent aux confins de l’aire linguistique picarde. De la région de Tournai, avec le dessinateur belge Serdu nous passons à Noyon (chez Gilberte Zanni-Adiot). En vallée de Selle, nous rencontrons Pierre Duquet qui critique la civilisation automobile ("miloér à reuves"). À Arras, c’est Jean-Claude Vanfleteren, le Rosati, qui cherche à "ramoner" (balayer) notre monde moderne. Élisabeth Manier (Vimeu) voit dans le mois de janvier, la transition de l’hiver vers le renouveau : "i y én a pu pour longtemps dvant qu’él boin temps i rvi-inche !"Eugène Chivot (Buigny-lès-Gamaches), rapporte avec malice un week-end au Mont Saint-Michel. Michel Dudermel (Lille) fait l’éloge du célèbre Simons dans une pasquille en vers libres qui lui est dédiée. Dans le Santerre, c’est au Hamel que Valéry Dècle raconte les histoires de Polyte. À Tilques (Pas-de-Calais), Roland Dussaussoy évoque le "louchet" avec lequel son père bêchait le jardin : "on auroait pu l’torde, ch’sacré manche, qu’i nn’auroait sorti d’él sueur...". À Amiens, Pierre Deglicourt imagine un dialogue à l’image de notre époque : celui du jeune qui s’installe au village, et qui malgré lui, se trouve marginalisé. Le quotidien de ce nouvel "horzin" l’amèneront rapidement à côtoyer la gendarmerie locale. Michel Fouquet (de Querrieu) donne, en fin de volume, une leçon de sagesse et de vie aux voyageurs de notre siècle.
Ch’Lanchron, nous présente les rubriques qui lui sont familières. Rendez-vous, expositions, chronique littéraire, jeu photographique, et même une recette de cuisine : éch rassacage, sorte de pot-au-feu amélioré, où l’ordinaire frôle le culinaire... Boin comme éch Lanchron lo : j’m’in pourléque mes lipes ! (Bon comme ce numéro de Ch’Lanchron, je m’en lèche les lèvres).