Nous rencontrerons une trentaine d’auteurs picardisants au fil des 44 pages de ce numéro de Ch’Lanchron qui vient de paraître. Dans ce dernier numéro du XXème siècle, toutes les formes littéraires sont abordées par notre langue régionale avec un bonheur certain. Le dessin humoristique y trouve une place de choix pour illustrer des textes sous forme de clin d’œil à l’actualité, tout comme le récit, le dialogue, la poésie ou la chanson.
Les premières lignes de ce numéro 82 rendent hommage à Sylviana Chevalier, la trésorière de l’association, disparue cet automne. La sensibilité des rimes picardes exprime avec pudeur et sincérité l’affection de ses amis proches. Si la fonction d’une langue est de communiquer sous tous les registres, le picard se montre digne de cette tâche délicate en ces douloureuses circonstances.
Plus avant dans les pages d’éch jornal picard les frères Caudron, célèbres Picards pionniers de l’aviation, sont croqués par Jean-Bernard Roussel à bord de leur biplan. Mais c’est Arthur Rathuille (auteur du début du siècle, assez méconnu bien qu’originaire de la région de Crécy-en-Ponthieu) qui leur rend hommage dans une poésie aux accents patriotiques. Le parcours de ce même Rathuille est décrit puis illustré avec deux autres textes plus mélancoliques "Din ch’bos" ou encore "À chés viux". La langue est riche et les thèmes de l’amour ou de la nostalgie sont traités avec un réel attachement au pays et à ses gens. Notons au passage que Ch’Lanchron a dégoté une citation de René Caudron, qui s’exprime lui aussi en picard !
Chaque automne, notre Picardie vit un peu au rythme de la betterave. "No campagne éd béttraves", un texte de Jean Leclercq (Bienfay, 80) situe l’action dans la cour d’école, dans les années 40. Les écoliers en sarraus reproduisent les charrois de leurs aînés pendant la récréation. Jusqu’à l’instant du drame fatal : la blouse de Piot Papin, le malchanceux, cède et craque irrémédiablement. L’époque des restrictions n’augure pas d’un retour trop glorieux à la maison.
Ch’est ducasse !
Les fêtes d’ici se nomment "ducasse", en dédicace au saint patron du village. Mais la fête se prépare. On la sent venir, les volets sont déposés pour servir de tréteaux de fortune. Le pâtissier chauffe le four pour toutes les ménagères. Les enfant s’énervent un peu... André Accart (de Nielles, 62) décrit minutieusement tous ces instants de précipitation, et recrée une ambiance qui nous mène droit aux manèges et aux "tirlotries" impatiemment attendus.
Ailleurs, la logique des hommes n’est pas celle des femmes. France Devismes (Mons-Boubert, 80) nous en apporte le témoignage à travers les anecdotes recueillies derrière son escarcelle de "dame pipi". C’est "chl’avarice éd chés honmes" qui cède le pas une "logique éspéciale éd chés feumes". Croustillants, ces courts portraits nous renvoient à des moment vécus, où certains ne manqueront pas de reconnaître leur voisin, faute de s’identifier personnellement aux situations !
Cidre et tourbe
L’hiver, avec ses courts jours, est la saison du pur jus des pommes grugées et pressées. Jules Dufrène (Ch’Baron d’chés bassures, Wathiéhurt, 80) nous invite à trinquer avec lui joyeusement : "Cantons no cite picard", et reprenons en cœur "Chu cite éd Picardie / Veut chti d’Normindie ! "
Puis nous rentrerons nous réchauffer auprès d’un âtre de "Flammes éd troubes, flammes éd bos". L’évocation des combustibles d’antan nous rapproche des aïeux et de leurs comptines. La voix de la grand-mère qui fredonne devant la lueur blafarde remonte à la mémoire de Gilbert Mercher (Gamaches, 80), jusqu’à ce qu’un minuscule lumignon rouge change le refrain... Hélas "Tchot bonhomme il est mort", et il annonce au gamin qu’il est temps d’aller se coucher.
Chroniques et jeux picards
De nombreux rendez-vous sont donnés aux amateurs de culture ou de littérature picardes. Ici, un cycle de conférences est donné à Amiens tout au long de l’année scolaire par le Centre d’Études Picardes. Là, les rayons de notre bibliothèque régionale se garnissent régulièrement de nouveaux ouvrages. Ch’Lanchron en rend compte régulièrement. Les bonnes adresses du picard sont dans les pages du trimestriel !
Les rubriques de Ch’Lanchron offrent aux lecteurs le loisir d’écrire à leur tour en picard. Des jeux littéraires, sont proposés, dont le plus connu, intitulé "VIR", qui présente un cliché à commenter d’un texte bref. Un autre jeu, "À l’tcheue leu leu", présente une série de mot squi formeront l’ossature d’un texte imaginé par chacun. Ils viennent de tout le domaine picard pour se mesurer à ces défis énigmatiques : Jean-Luc Vigneux (Ponthieu), Jean Wattelet (Douaisis), Raymond Coudert (Artois), Gisèle Raverdi (Hainaut), Élisabeth Manier ou Fernand Tacel (Vimeu), joutent bien amicalement dans leurs "parlages" respectifs. Cette diversité montre tout l’intérêt et la richesse de la linguistique régionale.
I feut savoér és continteu !
Les histoires et l’humour se muchent encore au sein de pages plaisantes. Dans une nouvelle de Jehan Vasseur (Nibas, 80), le jeune Mimile Ducorti a appris à boire la goutte sur les traces de son père. Puis le penchant pour les boissons anisées est arrivé avec l’âge. À tel point qu’il faut consulter pour recueillir l’avis redouté de la faculté, qui décrète sans ambages : " Plus une goutte d’alcool ! ". Pauvre Piot Mile, i feut savoér és continteu !
Jean-Pierre Calais (Ferrières, 80) rappelle avec malice le souvenir de son tayon Tchot Phane, le menuisier. Avec un plaisir non dissimulé, un dimanche matin, à la sortie de la messe, les paroissiens l’ont découvert en plein ouvrage, fier de commander ses filles qui manœuvraient la première scie circulaire manuelle que le modernisme amenait au village ! "Éch soleil à Téophane" lui donnât son heure de gloire, et on en parle encore du côté de Ferrières aujourd’hui.
Mais Ch’Lanchron se referme déjà. Ses 44 pages sont dévorées. La prochaine livraison arrivera en 2001. Attendons patiemment le nouveau millénaire... I feut savoér és continteu !