Le doyen des Picardisants s’est éteint, centenaire, le 23 avril dernier. Le trimestriel picard rend un long hommage à Eugène Chivot, dans le numéro actuellement en kiosques. L’enfant du Vimeu, qui le jour à Buigny-lès-Gamaches en 1901, où les chemins étaient encore loin d’être carrossables à l’époque. En clin d’œil au pays de son enfance, il signera son abondante production picarde du pseudonyme d’Ugéne éd Boégny-à-raques. En retour, son village a récemment inauguré une bibliothèque dédiée à son illustre enfant.
Ses amis picardisants étaient autour de lui pour fêter son centième anniversaire, tant attendu, en mars 2001. Dans Ch’Lanchron, les marques d’amitié et d’estime se multiplient, en picard évidemment, au fil d’une huitaine de pages signées Jehan Vasseur (Nibas), Jean-Luc Vigneux (Abbeville), Jean Leclercq (Bienfay), Élisabeth Manier (Escarbotin), ou encore Pierre Verlant (Fressenneville) qui n’est autre que le petit cousin de l’instituteur d’Eugène Chivot qui guida le sérieux élève vers sa carrière de professeur qu’il aller mener jusqu’en 1966 au lycée d’Abbeville. Adè Ugéne ! semble dire Ch’Lanchron, en nous donnant envie de relire un des copieux ouvrages légués par l’auteur : "Pur jus" (1972), "No flipe" (1978), "Du toute insanne" (1983), "Rinchette" (1983), et son mémorable "Voéyage à Chicago in Amérique" (1984).
Le cinéma picard des années 1950
Une caméra, quelques acteurs passionnés, un peu de culot et un bon scénario... Voilà en résumé comment l’effervescence des années qui suivirent la Libération donnait l’idées de tourner un film aux jeunes à qui rien ne semblait innaccessible. Voilà donc comment le cinéma d’expression picarde est né vers 1950 à Friville-Escarbotin (Vimeu) ou à Candas (Amiénois). Un peu de chance, beaucoup de ténacité, et une dose de savoir-faire ont permis, cinquante ans plus tard, de sauver de l’oubli ces œuvres et même de les diffuser !
Dans le Vimeu, le cinéaste Pierre Verdez, en quête de films porteurs de témoignages de la vie du XXème siècle, rencontre par hasard un collectionneur de vieilles bobines, Jacques Montier. Parmi celles-ci, se cache un trésor original : "Eune jornèe à l’mer". Un vrai film de fiction imaginé, joué et monté par une équipe de jeunes gens. Le film sera restauré, les dialogues sont retrouvés sur de fragiles disques souples, les vedettes de l’époque sont interviewées. Puis vient le temps du sous-titrage en français, car le picard de Friville-Escarbotin est porteur de couleurs particulièrement typées. L’exercice est nécessaire pour l’édition de cassettes VHS. Les projections publiques se succèdent (avec un passage au festival du film d’Amiens l’an dernier). Et l’idée de la publication du texte intégral du film est envisagée, pour que chacun puisse apprécier cette "journée au bord de mer", à Onival, racontée par Serge Caron et ses complices. Ch’Lanchron nous offre donc ce long document, découpé plan par plan, illustré des photographies de presse de l’époque... Tout ce qui fait de quelques images animées, à raison de 25 par seconde, un vrai film est bien réuni ici. Le cinéma en picard existe ! Les sceptiques peuvent de plus commander la cassette...
L’expérience menée à Candas, au nord d’Amiens, à la même époque, ressemble en tous points à celle du Vimeu. Le film s’appelle "Nénette". Il a connu le même succès, la même résurrection, et nous rapporte avec un brin de nostalgie, vers la vie joyeuse et sans complexe au village. Mais le comble de ce film, dont les dialogues picards ont été édités par les anciens protagonistes du projet, est d’avoir été réalisé sans l’enregistrement des voix. Chaque projection était accompagnée de l’interprétation des rôles en direct, dans le noir de la salle, en compagnie du public. Et voici comment on peut affirmer que le picard possède, aussi, son cinéma muet original !
Tous les détails de ces généreuses productions sont présentés dans Ch’Lanchron numéro 84, dans lequel vous retrouverez les chroniques habituelles de la revue et les rendez-vous picards de cet été 2001.