Après un numéro entièrement consacré aux bandes dessinées picardes de Jean-Bernard Roussel qui a connu tout au long de l’hiver un grand succès auprès des lecteurs, le trimestriel retrouve sa formule classique pour notre printemps 2003.
Après les dernières rimèes (givres blancs) fixées en couverture, c’est une décoction de fleurs de guimauve venue du Valenciennois qui nous réchauffe. Là bas, dans cette partie du Nord, le picard est dit "rouchi". C’est Gisèle Raverdy, native d’Aulnoy (Hainaut), qui manie cette langue avec excellence et en rend les accents nasalisés particuliers. La mémoire de la culture et de la cueillette des fleurs de guimauve, sont relatées par le menu, et l’on y distingue les "greus marins" (plants gros producteurs) des "gardins" (plants aux fleurs rares). On ne savait pas qu’au-dessus du charbon, la terre produisait une part de la pharmacie traditionnelle. Le picard nous le rappelle avec force détails et anecdotes de camaraderie.
Hommages
Les défenseurs d’une langue en sont souvent aussi les animateurs. Pour preuve, Arthur Lecointe (d’Allery, Vimeu) en fut un inlassable narrateur au long du siècle passé. Il devait nous laisser, après sont décès en décembre dernier, quantité de textes, de souvenirs, décrits avec précisions dans ses multiples publications. Parmi elles, un surprenant opuscule retraçant les farces d’un de ses illustres compatriotes, Isidore Darras, dit "Ch’ Mahouet d’Ary". Après ce rappel, Ch’Lanchron nous livre le poème inédit du défunt picardisant : "darènes pinsèes" au caractère de testament en faveur de notre langue régionale.
Ailleurs, l’évocation de Robert Mallet, lui aussi disparu dernièrement - "ch’récteur" comme on aimait l’ap- peler - nous parle de l’homme d’ici, celui qui au-delà des gratifications pédagogiques ou littéraires, a su garder sa vie durant, présent à l’esprit comme dans les actes, son attachement à la terre picarde et à son précieux langage.
Nouvelles signatures
Il est bien rare que Ch’Lanchron ne nous apporte dans un nouveau numéro son lot de plumes récemment trempées à l’encre picarde. Il se découvre ainsi cette fois cinq auteurs en herbe issus de la Somme, qui d’Amiens (comme Eric Lavallard), qui du Quesne (Michel Doinel), ou encore du val de Nièvre (Élisabeth et Pierre Carpentier), ou de Long (Serge Pécquet). La vitalité du picard est donc certaine. Ils se lancent ainsi dans une écriture que d’aucuns jugeraient désuète ou anachronique, en ce XXIème siècle naissant. Qu’on se garde bien d’une telle vue hâtive, la vigueur des textes produits est garantie. Ils côtoient d’ailleurs tous ceux d’auteurs confirmés sans embarras, jouant même de leur fraîcheur pour soutenir la comparaison.
L’émulation est de règle grâce à cette diversité. Comment ne pas se surprendre à relire "E-ll’allyinche d’Edma", par exemple, pour en apprécier les finesses d’un genre au carrefour de la nostalgie, de l’humour, et de la peinture de la société des années 1950 ? De même, la promenade en bord de mer, proposée par Régis Delicourt - sous le prétexte de ramener une assiette de "seutrélles" - n’est-elle pas un tableau méticuleusement brossé, où chaque mot entre en résonnance avec le paysage et ses passagers d’un instant, homme ou oiseau, phoque ou maigre portion de crevettes grises ?
Mais plus loin, nous ne bouderons pas non plus le plaisir de nous plonger dans l’investigation semi-policière à laquelle Jean Leclercq nous convie. "Intchéte din no pouiller" est une invitation à entrer dans l’univers des poules (chés glaines) et des oies (chés eusons). En parfait maître du suspens, dans une langue vimeusienne sans faille, l’auteur nous y plonge. Mais pourquoi donc ces "meudites glaines" s’en vont-elles dormir perchées sur les branches des ormes ? Quelle mouche, ou quelle bouche, les aura piquée, ou pincée ?... réponse dans Ch’Lanchron 89 !
Ne manquez pas non plus les nuances de Jehan Vasseur, qui situe place pour place la fonction du fauteuil picard "éch cadot") face à son rival moderne au caractère moins sentimental. Tout bon amateur de picard s’en voudrait encore de manquer "El tornèe d’lapins", récit offert par Pierre Duquet (de Prouzel, Amiénois), extrait de son recueil "Da nou vallée d’Selle" qui ne manque pas de jouer sur les concours de circonstances rencontrés par un couple de jeunes mariés en visite dans leurs familles.
Le picard au tableau d’honneur
Avec Ch’Lanchron 89, nous sommes assurés d’être en possession d’une belle part de picard. La B.D. venue des mines (signée Gilles Doutreligne) jouxte les chroniques, jeux, les poésies, et les annonces qu’un journal se doit de présenter à ses lecteurs. Ch’Lanchron, qui entame sa vingt-quatrième année de publication en ce "boin temps 2003", ne faillit pas à sa réputation de qualité et de diversité picardes, comme il a été remarqué dans une récente étude (étude publiée dans "Le Petit Jour" nº70 sept. 2002, 79 avenue B. Buyer, 69005 Lyon) des parutions en langue régionale. Cette information, mentionnée dans un discret entrefilet, est tout à l’honneur du parler picard et de tous ceux qui contribuent ici ou là à son essor. Ch’Lanchron en est, ch’est aladon, le faire valoir utile et authentique.