C’est un numéro très attendu de Ch’Lanchron qui vient de paraître. Cette 122ème livraison, avec dossier spécial sur « chés érignies », arrive non pas comme un cheveu dans la soupe, mais tout à fait comme une araignée dans le libouli (lait bouilli). En ce printemps 2011, les 44 pages du trimestriel picard consacrent les histoires, les légendes ou les chansons dédiées aux araignées, précisément.
Depuis chés inochints d’Rumigny jusqu’à Lille
Il n’est de bon Picard qui ne connaisse la célébrissime chanson de « Chl’érignie d’Rumigny » ! Légèrement gaillarde, mais assurément comique, cette chanson picarde est reprise en fin de banquets ou lors des repas de famille, sans que l’on sache toujours bien d’où elle provient. Ch’Lanchron nous en dévoile tous les secrets, et même davantage.
Créée par Emmanuel Bourgeois au XIXème siècle, la chanson de « Chés inochints d’Rumigny » n’est pas simplement née de l’imagination de l’enfant de Vers-sur-Selle (80). Il en avait puisé le thème dans les facéties du Lillois Brule-Maison qui interprétait, un siècle avant lui, ses pasquilles sur les places publiques. Il s’agissait alors de la « Chanson d’un Tourquennois qui avait avalé une araignée en mangeant sa soupe ». À l’époque, le programme visait déjà à faire ressortir du corps de la victime l’animal synonyme de poison venimeux. Et tous les moyens étaient évidemment de mise, y compris l’étalage de mouques destinées à attirer la maudite bestiole. Bourgeois a donc relu et revu le texte de son prédécesseur. Ch’Lanchron 122 nous donne à comparer les différentes versions. Nous apprenons que si les paroles ont été quelque peu plagiées, il n’en est pas de même de la musique, qui provient de compositions personnelles ou de reprises sur des airs à la mode. Les partitions en sont données, et c’est ainsi tout un dossier qui a été réuni autour de Chl’arignie.
L’araignée dans nos assiettes depuis le XVIème siècle !
Mais en suivant le fil - c’est le cas de le dire - de notre araignée picarde, on remonte le temps bien plus loin. Le prétexte de l’araignée avalée par mégarde au cours d’un repas n’a pas plus été inventé à Lille qu’en banlieue d’Amiens. Nous devons cette hypothèse médicale à un bateleur bonimenteur qui sévissait à Paris, place Dauphine, sous le pseudonyme de Tabarin, aux alentours de 1600. C’est donc ce personnage qui a posé les premiers jalons pour qu’une araignée parcoure les méandres du tube digestif. Il a ensuite inspiré, à son corps défendant, nombre d’amusueurs publics, dont nos auteurs picardisants.
Après nous avoir détaillé ces épisodes historiques, Ch’Lanchron nous révèle en détail les différentes étapes de la construction et les différentes interprétations de ce quasi-mythe picard.
Nous voyons alors des variations dans la bande dessinée : l’araignée devient une guêpe chez Jacques Croédur, par exemple. Jean-Bernard Roussel (Amiens) nous livre pour sa part une légende allemande, remise à la sauce picarde : celle des fils tissés par les araignées dans la nuit de Noël.
L’araignée fait aussi des apparitions dans la littérature. Jacques Defolie (Moreuil, 80) évoque sa frayeur devant une mygale indochinoise, alors que Jean Leclercq (Vimeu) prend la défense des araignées picardes dans une plaidoirie documentée et humoristique. Alcius Ledieu (Demuin), Georges Froment (Amiens), Jean-Paul Champion (Saleux), ou Daniel Cotrel (Cottenchy) donnent tour à tour des contes ou des histoires truculentes à propos d’araignées qui viennent perturber ici un repas serein, là une fête de village, ou ailleurs la paix d’un ménage.
Les souvenirs d’araignées ne manquent pas à nos chanteurs contemporains. Voilà Jean-Luc Vigneux (Abbeville) qui rend hommage à son oncle Robert, qui lui aurait transmis le goût de chanter en picard par ses multiples interprétations de Chl’érignie. Voici maintenant Pierre Ivart (Berck, 62) qui évoque un souvenir de jeunesse mèlant musique et angoisses, caves et toiles d’araignées, lorsque Konrad Schmitt (Buire, 62) entreprit de crier à sa façon Chl’érignie. C’est aussi Christian Dequesne (Douai, 59) qui nous livre sa propre version, écorchée à vif, de cette même chanson dans un C.D. aux couleurs de blues.
Nous retrouvons encore la trace de l’araignée dans l’héraldique régionale, ou dans l’histoire du village d’Ergnies (Ponthieu) qui pourrait tirer son nom de la forme en toile d’araignée de son territoire. Elle vient se glisser jusque dans les jeux proposés par Ch’Lanchron dans les rubriques « VIR » ou « À l’tcheue leu leu », ou encore dans les contrepèteries de « Chl’arméno à Fifine » qui décalent les sons sans complexe.
Quant à la modernité la plus récente, elle n’est pas absente. Le réseau Internet n’a-t-il pas pris comme nom picard « l’arnitoéle » ? Heureux prétexte pour rendre visite au tout nouveau site de Ch’Lanchron qui vient de changer d’adresse (http://lanchron.fr). Vous y trouverez tous les renseignements utiles pour vous procurer Ch’Lanchron 122 « éspécial érignies » : un numéro à déguster à grandes louchies !
Ch’Lanchron nº 122 :
5,00 euros le numéro de 44 pages (6,80 euros franco)