Henry Carnoy fut un des pionniers de l’étude du folklore régional. Picard originaire de Warloy-Baillon (80), il a laissé de nombreuses publications, notamment des reprises des contes issus de la tradition orale. On a également retenu de lui tout son travail de « traditionniste » qui s’est étendu bien au-delà de nos frontières picardes : sa vaste bibliographie témoigne de son éclectisme et de la valeur de ses travaux. Les férus d’histoire locale savaient qu’Henry Carnoy s’était également penché sur le vocabulaire picard, mais aucune édition n’avait publié ses recherches linguistiques. On les pensait disparues, Carnoy étant décédé en 1930.
Le hasard en a voulu autrement. En décembre 2009, Jacques Dufaux qui avait fait la découverte d’un cahier rempli de mots picards dans le grenier de la maison familiale de Querrieu (80), se tournait vers Ch’Lanchron pour le lui remettre. Ce cahier se révélait être le précieux manuscrit d’Henry Carnoy. Alfred Gosselin, le grand-père de M. Dufaux, et Henry Carnoy étaient amis ; ils sont décédés tous deux la même année. Le cahier a probablement été prêté de l’un à l’autre, puis, après leurs disparitions, il sera resté enfermé dans quelque tiroir, à l’abri des heurs de l’histoire pendant près de quatre-vingts ans !
Ch’Lanchron s’est alors fait un devoir de déchiffrer ces notes déjà bien organisées. La lecture des retranscriptions phonétiques n’a pas été sans poser de problème, le système utilisé n’étant codifié que par Carnoy lui seul ! Avec la complicité de Jean-Pierre Calais l’entreprise de saisie des pages du précieux cahier a été menée avec minutie pendant plus d’une année. Il était décidé ensuite de mettre le tout à disposition du public sur un site Internet dédié. Pour parfaire l’ouvrage, une « mise en son » des locutions retenues par Henry Carnoy a été réalisée afin que le lecteur entende directement les particularités consignées par Carnoy. En juin 2011 le projet était réalisé dans son ensemble. Le voici accessible à tous, gratuitement de surcroît. Ch’Lanchron numéro 123 vous invite à retrouver (comme nous le faisons aussi ici) ces pages de picard du Nord-Amiénois, écrit, et parlé, désormais sauvées. Vous y lirez aussi avec plaisir l’un des contes recueillis par Henry Carnoy En 1878 auprès d’Alphonse Maison : « Cmint qu’chés leus is pért’t leu bourse ».
Un autre volet abordé dans Ch’Lanchron 123 est celui de l’étude universitaire du picard contemporain. Le nombre de scientifiques et d’étudiants qui consacrent tout ou partie de leurs études à la langue picarde est devenu remarquable. Le picard figure fréquemment en bonne place parmi les communications présentées par les linguistes dans les colloques proposés à leurs confrères. Il n’y a plus qu’en Picardie qu’on s’en étonne encore ! Le reportage « Ch’Lanchron in Amérique » nous détaille le voyage aux « States » effectué en octobre 2010 par les représentants de notre revue.
C’est que l’an dernier, Ch’Lanchron a été invité à témoigner de la réalité de la langue picarde à Bloomington (Indiana, U.S.A.). Au fil des quatre journées d’entretiens internationaux où se sont côtoyées des études sur les langues minoritaires du vieux continent (dont le basque, le normand, le catalan, l’occitan…) le picard tenait un rang de choix, avec pas moins de cinq interventions scientifiques dues à des chercheurs américains, canadien, ou toulousain. Une présentation de la bande dessinée en picard, proposée hors programme, a été appréciée par le large public francophone de l’ « I.U. » (Indiana university). La cérémonie d’ouverture ayant été réservée au picard, un exposé (en américain) à propos de la transmission intergénérationnelle du picard a introduit ces journées d’étude. Invité d’honneur, Ch’Lanchron a encore donné, par les voix de Jean-Luc et Delphine Vigneux, un concert d’une heure de chansons en picard lors de la cérémonie d’ouverture du colloque. Chaque invité au colloque, s’est vu remettre un exemplaire du trimestriel Ch’Lanchron . Chacun est donc reparti avec quelques notions bien confirmées quant à la vitalité de la langue picarde en ce début de XIXème siècle.
Signalons que Ch’Lanchron annonce un nouveau colloque universitaire qui se tiendra en octobre prochain à Amiens. Il réunira durant trois jours les linguistes spécialistes des langues de France. Inutile de cacher que certains d’entre eux viendront des États-Unis d’Amérique.
Ch’Lanchron 123 offre un panorama d’expression du picard « au quotidien ». La page 6, par exemple est un florilège d’enseignes ou de plaques écrites en picard rencontrées chez nous, à commencer par ces panneaux d’entrées de communes que le Conseil général de la Somme met en place depuis un an et demi. Les noms picards des villages sont calqués sur la liste éditée l’an dernier dans le numéro 118 de Ch’Lanchron qui fait donc référence en la matière. Découvrez dans les pages de ce numéro 123 le picard de l’Oise avec Quio Da de Grandvilliers (60), celui du Vimeu avec Jean Leclercq (Bienfay, 80), ou du val de Somme avec Gilles Toulet (Bettencourt-Rivière, 80). Un régal pour les yeux et les oreilles… car le picard se déguste aussi à voix haute.
Ch’Lanchron nº 123 :
5,00 euros le numéro de 44 pages (6,80 euros franco)