Un « édito » au second degré
Lire la Une de Ch’Lanchron 142, c’est saisir toute l’absurdité de la situation du picard. Dans un premier temps, Gadrouille (la mascotte du journal) semble placer la langue française en situation de porte-à-faux. Voilà le français méprisé, incapable de parler du monde présent, relégué dans la cour des langages dédiés à l’humour et la gauloiserie… Dans le paragraphe suivant Gadrouille se dédit. Il a simplement utilisé la métaphore, l’exemple sert de démonstration pour le picard, qui est tout autant à l’aise dans la modernité que toute autre langue vivante. Il s’épanouit, à son rythme, il s’exprime avec son vocabulaire, il est présent parmi les autres. Le monolinguisme qui voudrait prévaloir est mis à mal par le raisonnement emprunt de bon sens et d’ouverture d’esprit. Qu’on se le dise dans les cénacles malveillants…
Arras, ville de langue bien picarde
Deux siècles ont effacé nombre de mots et d’expression typiquement picards qui avaient cours dans les rues de la capitale de l’Artois. La locution « minger s’quaine » (ronger son frein), l’adverbe « mérmint » (misérablement), le « promion » (la culbute) et autre « bouquier » (l’entrée de cave) y furent chantés en 1815 lors de la ducasse annuelle. Ils semblent aujourd’hui oubliés. Mais ils ne sont pas perdus ! Ch’Lanchron les met à l’honneur en publiant, trimestre après trimestre, les rarissimes dialogues arrageois de 1815. Que les Artésiens du XXIème siècle les fassent désormais leurs. Les racines picardes sont là pour germer à nouveau !
Publications des courts-jours
Les nouveaux livres en picard sont arrivés au pied du sapin de Noël… Les abonnés à Ch’Lanchron ont été gâtés avec « Chés tchots miraques » de Gisèle Souhait, dont un extrait est proposé ici en page 3. Les souscripteurs ont retiré leur exemplaire du tome 4 des chroniques dominicales de « Ch’Dur et pi ch’Mo », signées par Jacques Dulphy. Les lecteurs du Courrier picard ont découvert le 26 novembre 2015, et pour la cinquième année consécutive, l’édition annuelle du quotidien régionale qui leur a été concoctée en picard. D’autres livres ou cédés sont présentés plus loin dans la rubrique « Liries ». Voilà autant d’articles, de commentaires et de reportages qui vous invitent à des lectures en famille, à voix haute, pourquoi pas ?, mais en picard assurément : l’automne 2015 semble avoir préparé nos longues soirées des courts-jours à venir !
Mieux vaut Nithard !
Les premiers mots de ce langage qu’on appellerait un jour « français » auraient été écrits par un Carolingien ; Nithard, petit-fils de Charlemagne, qui est enterré au seuil de l’abbatiale de Saint-Riquier, a tenu la plume en écrivant « Les Serments de Starsbourg ». Les manuels scolaires décrivent la scène historique sans s’attacher outre mesure à la rupture linguistique qui s’est opérée en ce début de neuvième siècle. En novembre 2015, une série de cérémonies présidées par Bernard Cerquiglini, le vice-président du Conseil supérieur de la langue française, a eu lieu au cœur de la cité du Ponthieu. Mais où se cachait le picard, dans cette aventure ? Le reportage de Jacques Dulphy nous apprend qu’une convention a alors été signée entre l’Agence pour le picard et le Centre culturel de rencontre de l’abbaye royale de Saint-Riquier . De nombreux projets collaboratifs sont appelés à naître de cette charte fondatrice. Le picard, langue cousine du français, n’est-il pas lui aussi né aux alentours de ce même neuvième siècle ? On lui reconnaît ses premiers mots dans « La séquence de Sainte Eulalie », composée vers l’an 880.
Écoutez Jacques Dulphy qui improvise la lecture des premières lignes des « Serments de Strasbourg » en picard moderne (enregistrement : France Culture, diffusion radiophonique du 24 février 2016).
Un verbe picard à sauver !
D’une promenade amiénoise est rapporté un dépliant commercial. Dedans, une recette de noix de Saint-Jacques des plus appétissantes. Hélas, celles-ci, transposées dans une langue picarde mal maîtrisée, deviennent « gueugues éd Saint-Jacques ». Le fruit de mer se fait fruit de terre. Le poil se hérisse. Toute la procédure culinaire en pseudo-picard n’est plus qu’approximations et inventions. Et pourtant, le vocabulaire picard abonde, précis, technique, et sans ambigüité. Le picard n’est pas une langue de l’à-peu-près. « Ch’mérmiton » sait « fréyer » quand le cuisinier fait réduire une sauce. Encore faut-il avoir la curiosité, Ch’Lanchron n’ose dire la compétence, d’ouvrir un des deux ou trois cents lexiques qui décrivent notre langue régionale. La chose est dite. L’anecdote nous vaut en page 12 un article étayé de Jean-Luc Vigneux, talentueusement illustré d’un dessin de presse signé Jean-Bernard Roussel !