Le picard est un roublard ! Vous ne le saviez pas ? Et pourtant, l’ "esprit picard", celui qui perdure à travers les siècles en est le témoignage constant. Vous ne nous croyez pas encore ?... Alors, ouvrez Ch’Lanchron, le numéro 51, oui, celui qui vient d’arriver en kiosque. Chaque page en est h’rétoér tout ratchè (le reflet le plus net).
Derrière le magnifique tiroir à malice de la couverture (un détail de traite picarde de Vignacourt), nous entrons au pays du plus fin, dans leur langue, ça va de soi. À Rustoville (village imaginaire de l’Amiénois) on tirlottait dans les cafés. Le jeu consiste à tirer au hasard une carte. Si c’est gagné, on emporte le lot : un lapin, une anguille... ou encore le contenu d’un sac "miracle". Méfiance !
La fin d’hiver 1944, vaut à ce père de famille d’héberger un officier allemand. Le séjour proposé par Jean-Luc Vigneux (Abbeville) est plein de la malice et de ces petits tours qu’on aimait alors jouer à l’occupant. Entendre parler picard "chonq jours durant, a n’pora mie li foaire éd mau ! ".
Le 4ème recueil d’Eugène Chivot
Eugène Chivot (de Buigny-lès-Gamaches, Vimeu) nous dépeint "deux rudes camarades", toujours prêts à se taquiner, à se chamailler. L’humour et la farce sont au menu du quotidien. Notons que cet auteur nonagénaire prépare actuellement un quatrième recueil de ses textes picards : Rinchétte. Gageons qu’après ses précédents livres (Pur Jus, No flipe, Du toute insanne) qui ont laissé d’heureux souvenirs à tous, le succès continue de jalonner la carrière de Ch’Tisse (comme l’appelaient ses anciens élèves du Lycée d’Abbeville).
Dans le Ponthieu, c’est à Caumartin ou à Bernay qu’est notée la permanence de l’esprit. Les jeux de mots latins permettent de se sortir ici d’un embarras certain ; là, c’est la fatalité qui désigne la maudite tasse "sans tcheue" qui va encore frapper. Attention à vos costumes !
Les nouvelles signatures sorties du tiroir de Ch’Lanchron n’ont rien à envier aux plus confirmées. Bertrand Saintes (Domart) chante "o sonme érfoaits". Que ce soit les élections, le mariage, l’argent, l’héritage : on est toujours floué, ramalinè, rpassè, yeu, rnarsè, rtcheussè, rfoait... Aujourd’hui, comme en 1930, alors qu’il écrivait ces strophes. Et le vocabulaire ne fait pas défaut.
À Warlus, le vieux républicain veut braver ses concitoyens de cette fin de XIXème siècle, en promenant dans le village un cercueil "tricoloré". Mais à malin, malin et demi... Dans le Santerre (V. Dècle, du Hamel), la vie au village, un dimanche, repose un peu de toutes les tribulations de la semaine. Une peinture calme se cachait au fond du tiroir à malices.
La poésie (Elisabeth Manier d’Escarbotin, par exemple) n’est pas absente de la livraison hivernale de Ch’Lanchron ("Chés nuits"). Les jeux de mots, ou plutôt de sonorités, sont mis en relief par Pierre Duquet (Creuse en vallée de Selle) et son "rébusse".
Le rapprochement de deux textes d’inspiration traditionnelle, l’un du Vimeu (Jacques Dulphy), l’autre d’Amiens (A. Souverain), permet une comparaison sur la juvénile vocation d’artiste d’un sculpteur au matériau des moins nobles.
L’Artois n’est pas absent de ces colonnes. Les Robert Mille, André Accart, Raymond Coudert, forment une garde sûre, qui a su puiser dans une mystérieuse photographie (en fait l’arbre à loques de Sénarpont) de multiples interprétations, qui sont confrontées à celles du Vermandois (Philippe Lobjois) ou du Ponthieu (rubrique "Vir").
Ce nº51 cloture avec un texte nostalgique d’Armel Depoilly, le regretté picardisant de Dargnies, qui a su transmettre le souffle d’une langue aux accents sincères à toute une jeune génération de plumes picardes modernes. Le tiroir du journal se referme ainsi d’heureuse façon, et sa lecture devrait ravir plus d’un amateur du parler de chez nous.