Le picard connait la pluie ! Cet été ne nous démentira point. C’est en toute logique, donc, que le parler régional rend hommage aux caprices de la météorologie dans un numéro spécial de la revue picardisante Ch’Lanchron qui vient de paraître. Et pourtant, il fallait être bougrement sorcier pour prédire des cieux si peu cléments plusieurs mois à l’avance. Car, si ce nº53 de Ch’Lanchron nous décline vents, pluies et brouillards sur tous les modes, c’est depuis septembre dernier que se préparait la maquette du journal.
Ch’Lanchron s’expose "aveuc d’él pleuve" (avec de la pluie)
Nous n’en voudrons certes pas à ces sorciers qui font chanter en picard les "gruèes", "érèes", ébroussures", "dossèes" et autres "draches" ou "trimpes" qui nous arrosent largement depuis plusieurs semaines. Le picard puise à cette source toute la verdure qu’il sème dans ses paysages. Cette inspiration semble, à la lecture de Ch’Lanchron, tout aussi intarrissable que les nuages qui assombrissent "éch temps" (le ciel). Rappelons que jusqu’au 10 septembre se tient à Abbeville, à l’Office de Tourisme, une exposition de photographies et de textes picards intitulée "Aveuc d’él pleuve..." (entrée libre, ouvert tous les jours). Nous devons cette initiative à l’équipe du journal, et nous en retrouvons dans ce numéro estival, le catalogue complet.
Dansons avec la pluie
Derrière une couverture aux gris orageux, ornée d’un délicat "Èrc-éd-Saint-Jean" (arc-en-ciel), nous découvrons une palette de talents qui s’expriment comme autant de goutellettes venues de l’Artois, du Hainaut, de l’Amiénois, du Vimeu ou du Ponthieu. La pluie vue comme la "fiéte à guérnoules" à Longuenesse, ou qui serait la cause de "chiférne" (rhume) à Hangest-sur-Somme, tout ses aspects sont mis en relief ! Charles Lecat (Woignarue) pense même, avec un jeu de sonorités propres au dialecte : a m’éroait pu plé qu’il euche pu plu (j’aurais préféré qu’il pleuve davantage). Tout semble autorisé, n’est-ce pas ?
Légendes, dictons, et humour de la pluie
Vous trouverez dans Ch’Lanchron des pages bien riantes, cependant. La pluie a également suscité quelques blasons populaires de villages qui sont répertoriés ici, comme cette évidence : "prophéte d’Orémieu quante i pleut tu dis qu’oz érons d’l’ieu" à l’adresse des bavards qui commettent quelque lapalissade pour se faire valoir en société. Un véritable almanach de la pluie vous guide aussi au fil des douze mois de l’année. Et si vous n’avez plus souvenir du temps du 19 juin, le dicton nous rappelle : "s’i pleut à Saint-Gervais, oz a un moédeut frais", c’est-à-dire une moisson humide.
Le pays picard fait également courir ses légendes sur les flaques d’eau. Connaissez-vous l’histoire de la "Pierre Bise" qui se cache en forêt d’Eu et annonce la pluie en fumant la veille qu’elle ne tombe ? Savez-vous l’aventure de cet ancien curé d’Oisemont qui, prêchant contre le vol, retrouva une quarantaine de parapluies "empruntés" dans le jardin du presbytère ? Et cette coutume de "poéyer chés raques" (payer la boue) qui voulait que le jeune prétendant s’acquitte d’une tournée générale afin de conquérir la belle d’un village voisin ? Tous ces usages vous seront révélés à la lecture de Ch’Lanchron nº53, avec un brin d’humour bien de chez nous.
La pluie du nord au midi...
Dictons, proverbes, bandes dessinées, et nombreux clichés égaient les pages de lecture aux textes brefs et poétiques, vifs et percutants. Une vingtaine de signatures se sont donnés rendez-vous pour vous remonter le moral les journées de grisaille. Eugène Chivot, Armel Depoilly, Marius Devismes, Jacques Dulphy, Didier Trotereau, Élisabeth Manie, dans le Vimeu ; Jean-Luc Vigneux, Ch’Cordonnier d’Bérné, Éric Vigneux dans le Ponthieu ; Robert Mille, Yves Poupé, en Artois ; Michèle Descatoires, Paul Mahieu, Paul André, Jean Wattelet, en Hainaut ; Louis Seurvat, Alphonse Pasquier, Léon Goudallier, en Amiénois ; Lucien Tétu dans le Marquenterre ; Gisèle Souhait dans le Doullennais, etc... une liste à laquelle s’ajoute Jules Dufrène (le regretté "Baron d’chés Bassures") qui ouvre le florilège avec "éch bleu d’éch temps din min poéyi", un magnifique poème, véritable ode aux couleurs changeantes de nos ciels du nord et à leurs peintres.
Ch’Lanchron c’est encore, bien entendu, un ensemble de rubriques et reportages. Les articles sur le disque "Renaud cante él Nord", la présence sur les lieux du tournage de "Germinal", sur les créations théâtrales (Picardisailles-3, Terre de Picardie), la revue des publications régionales, se succèdent au long des colonnes du trimestriel. Un numéro plus copieux qu’à l’habitude (il compte quatre pages supplémentaires) vous attend avec quelques autres surprises que nous vous laissons le soin de "démucher" très vite... un après-midi de lecture à l’ombre du soleil. Pourquoi pas, après tout ?