Derrière des reflets de vitraux s’ouvre le numéro des "beaux jours" de Ch’Lanchron. La lumière en est due à l’artiste Alfred Manessier qui a réalisé ses verrières de l’église Saint-Sépulcre d’Abbeville. Une exposition de son œuvre tissée est actuellement ouverte au musée de la capitale du Ponthieu, et l’annonce en est faite en picard dans le trimestriel. Car l’originalité de Ch’Lanchron, depuis plus de 16 ans désormais, est d’éditer de la littérature, de la poésie, mais aussi de l’actualité en parler picard ! Les rendez-vous sont donc délivrés en version originale, un léger sous-titrage est toutefois mis à disposition du lecteur avec le lexique placé en fin de journal.
Nos panneaux d’entrée de village ne seront pas doublés en picard !
Le Conseil Général de la Somme n’a pas donné suite à la demande de Ch’Lanchron de doublage des panneaux routiers en picard. Ce projet qui avait été bien accueilli par les lecteurs du journal, et qui aurait permis au pays d’ouvrir une porte culturelle supplémentaire vers les touristes ne verra donc pas le jour. À l’heure où chaque région cherche désespérément à affirmer son identité à coup de slogans, de logos, ou de réclames optimistes, il semble que ce refus ne soit pas compris des Picards indigènes. Ch’Lanchron qui manie volontiers l’indépendance de l’esprit, plutôt que d’autres formes plus politiques, exprime sa déception à travers un dessin évocateur.
Et pourtant, le picard se parle, s’écrit et se lit !
La poésie portée depuis Tournai (Hainaut belge) par Paul Mahieu, jusqu’en baie de Somme par Élisabeth Manier (Vimeu) prouve la modernité du langage picard. Si celui-ci se prête aussi à la gaudriole et la farce (voir les textes de Fernand Pruvot, A. Souverain, ou André Thierry tous trois de l’Amiénois), il est à l’honneur à travers un genre qu’il développe bien : la nouvelle. Jehan Vasseur (Nibas) ou Jean-Luc Vigneux (Abbeville) s’emploient chacun à de tels récits avec bonheur. Les dialogues tiennent une place de choix dans Ch’Lanchron : comment un langage essentiellement parlé se transcrit-il le mieux ? Avec le théâtre, par exemple. Ainsi vous pourrez lire "À tchèche él tour ?" une pièce aux échanges fleuris. Précisons qu’il s’agit d’une commande du Conseil Régional de Picardie pour l’exposition "Matières de Picardie" qui va sillonner notre pays pendant près de deux ans.
Depuis les "clognons" (clins d’oeil) jusqu’au roman en picard
De nombreuses photographies prises au hasard de nos rues donnent un des aspects vivants du parler picard. Ici une banderole annonçait à Boves (80) la fête des "ouin ouin" ; là c’est la voiture de "Ch’bis" qui a été repérée ; en Bretagne un déraciné à intitulé sa maison "no katieu"... etc. Mais ces apparitions du langage pourraient paraître superficielles, si elles n’étaient encadrées de manifestations plus profondes encore. Eugène Chivot, auteur de plusieurs recueils à succès était récemment à l’honneur dans son village natal (Buigny, 80) pour l’inauguration d’une bibliothèque portant son nom ; Ch’Lanchron était là et en fait reportage. La collecte de textes traditionnels ou oubliés, comme la chanson "Chés mounieux d’éch poéyi chi" fait partie de notre paysage linguistique. Et depuis juin dernier, avec la publication du roman de Jean Leclercq : Chl’autocar du Bourq-éd-Eut, Ch’Lanchron a ouvert une nouvelle voie d’expression aux auteurs dialectaux.
La Picardie possède sa langue régionale endogène. Si son expression ne vise pas à l’universalité, elle permet la communication, l’échange, la complicité, avec une faculté que bien d’autres lui envient : parler au cœur de ses adeptes. Ch’Lanchron nous permet à tous, avec ce numéro d’été, d’y accéder.