Depuis le mois de décembre, le numéro 75 du trimestriel picard Ch’Lanchron est disponible. Il recèle comme il est d’usage dans la revue, quelques trésors de notre parler régional. Le plus précieux, est probablement dans les pages centrales de ce Lanchron. Plantons le décor : Fressenneville, Vimeu ; et même Vimeu rouge ! Ce pays de tradition ouvrière doit son qualificatif coloré sans équivoque, aux mouvements anarcho-syndicalistes du début du XXème siècle.
Au pays de "Chés métteus d’fu"
Les esprits libertaires, les engagements militants, les idées "avanchèes" ont eu ici, dans les villages de la clef et de la serrure, un écho qui résonne encore aujourd’hui dans les mémoires. Les événements de 1906, à Fressenneville, précisément, restent gravés dans l’histoire du pays. N’appelle-t-on pas les habitants "chés métteus d’fu" ? C’est le souvenir de la grande grève de plusieurs mois qui a vu la mise à sac du château des patrons, les Riquier. Le mobilier en a été brûlé ou jeté dans la mare. La troupe a bien tenté de remettre l’ordre militaire ensuite, mais les traces du mouvement insurrectionnel sont encore visibles : l’église alors en reconstruction, aux frais du patron, est restée aujourd’hui encore sans clocher. Ses briques avaient entendu trop de couplets rageurs de l’Internationale.
Ch’Lanchron, a mis au jour un véritable document : le témoignage de Gatien Petit. À l’époque jeune homme, et impliqué dans la grève, Gatien Petit a raconté dans une cassette précieusement enregistrée et conservée par Pascal Brioist le récit de la grève de 1906. La conversation s’est naturellement tenue en picard, et dans un dossier spécial elle nous est intégralement livrée. Gatien Petit fut doyen du village, et il avait vécu de près l’ensemble du mouvement ouvrier. Il en avait aussi gardé la mémoire et le combat au long de sa vie. Disparu maintenant depuis plus de dix ans, Gatien Petit nous a donc livré un véritable document, qui ne peut être versé au nombre des pièces historiques que dans le parler d’origine, le picard, ce qui en authentifie l’origine et la qualité. Ce dialogue nous est restitué dans Ch’Lanchron dans son contexte historique et social, avec d’autres textes picardisants dont un de Valry ch’Bédeu qui évoque la Belle Époque.
Le calendrier picard hivernal
Ch’Lanchron en bon Picard, est entré dans les courts-jours. La saison a commencé dès novembre, avec "Chés voleus dé l’Toussaint de Thierry Sellier (Nibas). Une hilarante recette de "pourdène à l’goutte" (dinde au calva) nous invite pour le réveillon de Noël, puis nous arrivons aux portes de l’an nouveau en chantant le traditionnel "Au djignel !" en compagnie de Gaston Vasseur. Ch’maire éd Neuli (Ponthieu) nous propose de faire une "série dé tous les jours", où chacun à son tour contera à la lueur du foyer familial. Et nous voici déjà au Mardi-gras, sous le soleil renaissant "ch’solé d’Coérémieu", une nouvelle littéraire de Jean Leclercq (Bienfay).
La poésie prend des couleurs de pluie et Élisabeth Manier (Friville) nous conseille : "vite au rados ! " (à l’abri), tandis que Jean-Luc Vigneux (Abbeville) chante pour les enfants "Troés gouttes éd ieu". Pierre Duquet (vallée de Selle) lui emboîte le pas dans son "Clair ed nou leune" revisité. Ce qui invite Paul Mahieu (Hainaut belge) à "trandler", à vagabonder, dans un voyage intérieur.
Ce cheminot que l’on rencontre s’appelle peut-être Tchot Vo, il s’arrête au Boisle pour y apporter la tradition de l’osier, selon une légende imaginée par Jacques Dulphy. Sur ces mêmes rives de l’Authie, Sébastien Populaire raconte une troublante histoire de famille, perturbée par la guerre, l’adoption et enfin le crime.
D’autres pages retiennent des signatures venues de l’Oise (Jean-Charles Saunier), de l’Amiénois (Michel Fouquet), et plusieurs plumes féminines : Marcelle Goffinont de Saint-Maulvis, Mireille Petit d’Amiens, Jacqueline Depoilly de Bourseville. La rubrique-jeu "Vir" connaît un succès grandissant : une photographie incite le lecteur à écrire quelques lignes de picard, qui sont ensuite confrontées dans le numéro suivant. Une douzaine de contributions a été réunie sur le thème du puits. À lire depuis les quatre coins du domaine linguistique picard.
Nous terminerons ce tour d’horizon, avec la présentation du nouvel ouvrage édité par Ch’Lanchron. Il s’agit du recueil des textes en prose et de souvenirs d’Armel Depoilly "Contes éd no forni et pi ramintuvries". L’auteur originaire de Dargnies a laissé à son décès, un nombre conséquent d’écrits restés inédits que le journal picard a à cœur de mettre à disposition du public. Un extrait nous en est proposé : "Nous, o n’ons point d’rintcheume". Il donne la parole aux matelots qui partent sur les vagues en colère faisant fi de leur destin. Le recueil qui a connu un bon succès de librairie en fin d’année dernière est encore disponible. Ne manquez donc pas, non plus, ces belles pages de littérature picarde.