Ici, vous allez lire une fable originale en picard… …Découvrez le panorama des fables en picard ! |
De janvier à mars, une vingtaine d’apprentis en « C.A.P.A. Première » année du Lycée de la Baie de Somme (80, Abbeville), ont suivi une initiation à la fable en picard. Jean-Luc Vigneux, pour Ch’Lanchron, est intervenu à la demande de Mme Marie-José Da Silva Macedo, professeure-documentaliste et de Mme Aurélie Lambert, professeure de français qui ont encadré ce projet. En conclusion de ces séances, huit élèves apprentis volontaires ont enregistré le texte en picard dit. Cet enregistrement a servi de référence à d’autres lectures en public lors des Journées portes ouvertes de l’établissement. Les élèves « picardisants » sont originaires de divers villages de la Somme : Le Titre, Yzengremer, Hérissart, Incheville, Guizancourt, Flixecourt, Béthencourt-sur-mer ou de Seine maritime : Criel-sur-mer. Par ordre d’intervention au micro vous allez entendre : Jean, Florian, Quentin, Romain, Benjamin, Haubin, Kévin et Damien. Écoutez le texte picard dit par les élèves abbevillois ! |
Chu magneu vert pi chu froumion | La sauterelle et la fourmi | |
Eugène Chivot
Parler picard de Buigny-lès-Gamaches, Somme (Vimeu) Texte publié en 1972 dans le recueil « Pur jus » (ouvrage épuisé) Enregistré par l’auteur Est également paru dans Ch’Lanchron n°105-106 « spécial fables » (2002) (Traduction littérale en français de Jean-Luc Vigneux) Écoutez le texte picard dit par l’auteur tout en le lisant ! | ||
Chu magneu vért, d’awoér cantè Long d’l’étè I s’a rtrouvè, au bout d’l’énèe, Aveuc éd l’érgint à l’gronnèe ; Édpi ch’temps leu, din sin catieu, I n’sé norrit qu’éd boins morcieux. Mais vleu ti point qu’à l’saison morte, Pèr un frouod d’leu, Un jour, i vient butcheu à s’porte, Sé conme un cleu, Sin paur voésin, un viu fromion Qu’i n’roule point li, dsu chés millions. I canchelle, i tranne les bérbettes Su ses pattes conme des bérzouillettes. « Dis magneu, pour qu’éj tiénche él coup, Tu n’porouos point m’préteu quiques sous ? Ch’est qu’il a plu conme vaque qu’i piche. J’ai pardu toute, et pi t’es riche. Éj té poérouos, si tu veux bien, Chés intérets... à trouos du chint. — Bé ! Tu n’as point gramint d’mémoére : Portant, Din l’temps, T’as invoéyè dindjeu m’grand-mére. Conte m’un peu ch’qué tu chamaillouos À l’boéne saison, quante éj cantouos ? — J’én peux point résteu à rien foaire ; J’travaillouos conme un mércénaire, Si tu veux l’sawoér, Du matin au soér, Pour ém norrir et pi pour mette Étou d’cotè séquant frouettes. — A s’désséque, i n’in résté mie : A ratinche, des économies ! Toute eune éxisténce éd martyr Pour coér au bout si mal finir... Al a rudmint cangè, tn’histoére, Pi al douot bien rire, ém grand-mére Din sin Paradis, D’vir éch qu’i s’passe au reingne d’innhui ! » Alors, fin fou — est à nin braire — Chu viu fromion qu’i n’comprind pu, Pour évnir étou millionnaire, I veut canteu conme un pardu. À quoi qu’a li sért, à ch’paur diabe ? I forouot qu’i nin fuche capabe. À la véritè, Un fromion n’a janmoais cantè. Oz a bieu li dire, i s’intéte ! Vleu ses zius qu’i s’saq’té d’és téte... Pi, biétot d’trop gros pour és pieu, Boum ! Il éclate in mille morcieux. | La sauterelle, (à force) d’avoir chanté Tout au long de l’été S’est retrouvé, en fin d’année, Avec de l’argent en grande quantité ; Depuis ce temps-la, dans son château, Il ne se nourrit que de bons morceaux. Mais ne se trouve-t-il pas qu’à la morte saison, Par un froid de loup, Un jour, vient frapper à sa porte, Sec comme un clou, Son pauvre voisin, une vieille fourmi (N.B. : en picard « froumion » est du genre masculin) Qui ne roule pas lui sur les millions. Il chancelle, il tremble en grelottant Sur ses pattes comme des brindilles. « Dis sauterelle, pour que je tienne le coup, Tu ne pourrais pas me prêter quelque monnaie ? C’est qu’il a plu comme vache qui pisse. J’ai perdu tout, et tu es riche. Je te paierais, si tu veux bien, Les intérêts... à trois pour cent. — Regarde ! Tu n’as pas beaucoup de mémoire : Pourtant, Autrefois, Tu as envoyé au diable ma grand-mère. Raconte moi un peu ce que tu bricolais À la bonne saison, quand je chantais ? — Je ne peux pas rester à rien faire ; Je travaillais comme un mercenaire, Si tu veux le savoir, Du matin au soir, Pour me nourrir et pour mettre Aussi de côté quelques miettes. - Ça se dessèche, il n’en reste plus du tout : Ça diminue, des économies ! Tout une existence de martyre Pour encore à la fin si mal finir... Elle a bien changé, ton histoire, Et elle doit bien rire, ma grand-mère Depuis son Paradis, À voir ce qui se passe au reine d’aujourd’hui ! » Alors, fin fou — c’en est à pleurer — La vieille fourmi qui ne comprend plus, Pour devenir aussi millionnaire, Veut chanter comme un perdu. À quoi est-ce que ça lui sert, au pauvre diable ? Il faudrait qu’il en soit capable. À la vérité, Une fourmi n’a jamais chanté. On a beau lui dire, il s’entête ! Voilà ses yeux qui sortent de sa tête... Puis, bientôt trop gros pour sa peau, Boum ! Il éclate en mille morceaux. |
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