Quelques géraniums en fleur sur le rebord d’une fenêtre ; un mur de torchis et sa paire de contrevents sous le soleil ; la couverture du numéro 76 de Ch’Lanchron, le magazine du parler picard, nous invite à la lecture.
Printemps et document !
Ce "lanchron" est de saison. Il s’ouvre sur une poésie printanière : "éch nid". Signé par Armel Depoilly, l’auteur de Dargnies, ce sonnet est un hymne à la vie, qui nous invite à "vir chés chonq piots jonnes". Simplement, comme un plaisir toujours renouvelé aux premiers beaux jours.
Plus loin, le cœur de la revue est consacrée ce trimestre à un exceptionnel document : "Chl’onque Jacharie". Voici comment cette pièce de théâtre inconnue jusque là, est miraculeusement arrivée dans les mains des rédacteurs. Dans un livre plus épais, acheté parmi d’autres vieux papiers, était glissé un cahier de 50 pages, qui contient un texte dialogué intégralement écrit en picard. Aucune mention ne permet d’identifier avec certitude sa provenance. L’auteur, qui se dissimule sous le surpitchet de "Jean Ry" n’a laissé ni adresse ni date. Il a même soigneusement découpé un carré de feuille pour enlever une note qui pourrait nous éclairer. Bien entendu, ce précieux document ne pouvait trouver meilleurs amateurs que les responsables de Ch’Lanchron qui attribuent au texte une origine amiénoise, dans la période de l’entre-deux guerres, certes, mais surtout une grande qualité de rédaction et une manifeste richesse de vocabulaire. Il a alors été décidé de publier cette œuvre pour la présenter à tous, et par là même la sauver de l’oubli. Gageons qu’il ne lui manque plus que d’être produite sur scène par une troupe qui saura monter le spectacle, en nous replongeant dans l’univers de Djustin, Batisse et Grain d’Sé, les trois protagonistes de l’intrigue. Le public y trouverait bon compte, et Jean Ry le mystérieux artisan de cette pièce connaitraît ainsi un honneur posthume mérité autant qu’inattendu.
Du picard venu de "tout partout"
Oui, il en vient de "tout partout" de ce picard qui remplit les 44 pages de Ch’Lanchron. Celui du Vimeu peut arriver en droite ligne de l’île de La Réunion, sous la plume de Jean Grilly. Il a gardé toute son authenticité, et les parfums des années 50, dans Ch’pot au fu. Un régal ! Il arrive encore de Tournai avec L’jeone veufe de Pierre Delancre, fable à l’humour noir et au réalisme implacable à l’heure du remariage. Il vient de la vallée de Selle (80) avec Pierre Duquet, Ch’maristér éd Creuse ; mais aussi du Ponthieu quand Alain Pruvot observe Chés ésons (les oies). Il passe par la cathédrale d’Amiens dans une chanson de Louis Seurvat, pour nous revenir dans les souvenirs de Jean Leclercq : Crie point si fort, ch’est l’érnouvieu, un texte libre inspiré du printemps 40, le dernier d’une enfance heureuse, alors que le poste annonce "la djérre totale ch’est pour biétot".
Un hommage est rendu à Pierre Deglicourt, subitement disparu en novembre 98. Originaire de Woignarue, mais résidant à Amiens, Ch’Déglic, comme il aimait qu’on le surnomme, fut de cette vague d’écrivains qui ont donné de nouvelles sources d’inspiration au picard dans les années 80, dans notre capitale régionale notamment. Il laisse de nombreux inédits, dont un roman, mais aussi un grand vide au sein de l’équipe de Chés Diseux d’Achteure, le groupe de création collective dont il était l’une des chevilles. Dans Ch’Lanchron, nous relisons une poésie "éj sus sé" et une prose "chu matcho", qui, comme deux miroirs, reflètent des aspects différents de la personnalité de l’auteur.
Ch’Lanchron : un fruit de saison
Le picard présent dans Ch’Lanchron passe encore par Berck (Lucien Tétu), par Abbeville (Jean-Luc Vigneux avec un conte pour enfants), par le Vimeu d’Élisabeth Manier ou de France Devisme, dans la bouche de Lafleur sous la plume de Gaëtan Duquémont. Il prend encore des couleurs variées au sein de l’incontournable rubrique VIR qui stimule cette fois des auteurs d’Artois, du Boisle, de l’Amiénois et d’ailleurs. Le jeu consiste à confronter des écritures à partir d’une photographie énigmatique. Ils ont été une dizaine à s’y prêter autour de vaguelettes de sable abandonnées par la marée : une belle livraison que l’on déguste comme un fruit de saison.